Y a pas que les chtis qui causent bizarre
Y a des choses moins faciles à assumer que d'autres. Etre née en Franche Comté, par exemple.
Déjà, parler de Belfort, c'est comme parler de Papouasie Nouvelle Guinée, y en a pas lourd pour situer sur la carte de France. Voire même, certains pensent que c'est dans un autre pays.
Alors, déjà, je vais redorer le blason de la Franche-Comté par un cours géo culturel express.
Pour les incultes des départements, vous saurez désormais d'où viennent les 25, 39, 70 et 90 quand vous les croisez sur la route (sont pas mal à aller faire les beaux au Cap D'Agde, sachez-le, vous pourriez donc de fait tomber sur un nid)
Culturellement, cette région, célèbre pour sa cancoillotte, fromage qui pue, mais, qui marié à une bonne assiette de patates, est un pur régal, n'a pas nécessairement quoi que ce soit à envier à n'importe laquelle des 21 autres.
Faille spatioculturelle. Notez, pour votre prochaine participation à "Qui ne veut gagner des Milliards de roupies de sansonnet."
Belfort, Territoire du même nom : célèbre pour son Lion (admettons, sorti de ça, c'est pas terrible, surtout climatologiquement parlant. La bise, là bas, c'est pas un truc fait avec la bouche sur une joue, c'est un petit vent insidieux qui te fait grave cailler des miches en moins de deux).
N'empêche, c'est Bartholdi qui a fait ce chef d'oeuvre, oui, celui là même qui a fait la Statue de la Liberté. Non mais.
Vesoul, Haute Saône : chantée par Brel, quand même. Bon d'accord, dans les paroles il manque quelque chose, la VO, c'est ça : "t'as voulu voir Vesoul, et on a vu Vesoul. Et surtout, je t'ai supplié de ne jamais y retourner." Mais rythmiquement, ça coinçait.
Saint-Claude, Jura : c'est là qu'on taille les meilleures pipes. En bois, s'entend, qu'on bourre de tabac et avec lesquelles on entretient la latence de son cancer du poumon. Les autres, j'en sais rien, je vais pas m'avancer sur les talents buccaux des Jurassiennes.
Besançon, Doubs : ici naquit Victor Hugo. Là, tout le monde ferme sa gueule, merci.
Seulement, en dehors de ses richesses patrimoniales, la Franche Comté, peut-être du fait de sa promiscuité avec la Suisse, affuble ses natifs d'un accent terrible. On le reconnaît aisément, il est traînant, et surtout, les Franc-Comtois aiment par-dessus tout mettre 5 accents circonflexes sur chaque son "O".
Et puis, en Franche-Comté, il y a des mots éminemment incompréhensibles, comme partout, mais c'est surtout quand on sort des frontières régionales qu'on s'aperçoit qu'on est un peu différent.
Moi même, qui ai quitté ma région d'origine pour la douceur du Gard, en ai bien bavé au cours de mes expéditions géographiques. En effet, utilisant des mots entendus depuis l'enfance, j'avais du mal à admettre de passer pour un OPNI : objet parlant non identifié (paysannasse de compétition, pour mes amis cévenols, qui feraient d'ailleurs, à ce propos, bien de balayer devant leurs oliviers avant de faire le ménage devant mes noisetiers. Parce que les expressions à la mord moi le noeud, y a ce qui faut aussi dans le terroir gardois).
Trève de bastons de patois.
Etant très magnanime, pour vous permettre de palabrer avec un Franc Comtois, voici un petit dico bien utile, sachant que comme les mots n'existent pas, et bien, je leur invente une orthographe.
- Trisser : gicler, asperger. (T'as trissé de l'eau partout.)
- Tosser : téter, sucer. (Quoi, à 14 ans, tu tosses encore ton pouce ?)
- Partir en meuyot : s'effriter (Tu vois, le pain, quand tu le fous trop longtemps au micro-ondes pour le décongeler, il part en meuyot)
- Pouih : beurk. (Manger de la cancoillotte ? Pouih !!)
- Peuh : moche, vilain, affreux, pas beau. (Oh, ce garçon, qu'est ce qu'il est peuh).
- Jinguer : gesticuler ("T'as des vers dans la culotte, à jinguer comme ça ?"., dixit ma grand mère quand elle me morigénait à la messe. J'avoue, ça m'intéressait pas plus que ça, les siècles des siècles, amen)
- Rijoter : rire bêtement et sans discontinuer. ("Vous m'énervez, les deux, à rijoter comme deux ânes", litanie maternelle quand mon frère et moi commencions notre sempiternel bordel à table, consistant, entre autres, à se faire un max de doigts d'honneur à l'insu des parents).
- Beusser, faire la beusse : tirer la tronche, faire la gueule. (Arrête de beusser dès qu'on te fait une remarque)
- fiérot : âpre, amer. (Dis donc, sont fiérottes les framboises. Dégueulasses irait aussi bien).
- poirotte : pomme de terre, patate. ("J'ai fait un ragoût de mou avec des poirottes". Ben c'est le chat qui va se régaler, mamie).
En Franche Comté, on sait aussi rendre contemporains des mots que plus personne n'utilise depuis le Moyen Age, comme filer une tatouille (une râclée), beugner l'auto (la cabosser), ou encore être tout dépenaillé (avoir les fringues en vrac). Et on a aussi des onomatopées surprenantes pour remplacer des phrases ("Chou" = j'ai froid, je caille. "Tchoc" = je crève de chaud, ce qui arrivait rarement d'ailleurs. "Oille, Wôa" : que la terre est basse, j'ai mal partout, en fait, ça sert un peu pour tout.)
Mais dans la vie courante, m'étant exilée, j'ai fait en sorte de devenir comprise de mes semblables. Adieu donc veâux, vaches, cÔchons, expressions Jacquouille La Fripouillesques.
Oui, mais voilà. A force de potasser le Petit Robert, je suis tombée dans le travers inverse. Causer comme une Académicienne.
Résultat : non seulement, je continue à être incomprise verbalement, mais en plus, maintenant, même ma famille ne me comprend plus :-(.
Alors, c'est décidé, je suis en plein apprentissage du langage sms, lequel, au regard de sa capacité à se répandre comme une dysenterie mal contrôlée, pourrait ne pas tarder à devenir The langage universel. Et tant pis pour Victor Hugo....
Si certains lecteurs font l'objet d'une prochaine sanction disciplinaire, mutation professionnelle dans cette étrange contrée, voici de quoi vous familiariser avec ce qui va vous attendre niveau dialectique.
Syssy, si instruite langagièrement qu'elle en a le cerveau qui pète.